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Raconte pas ta vie 2020 - 1er semestre

Raconte pas ta vie 2020 - 1er semestre
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Peluche's story
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Peluche's story

L’histoire se passe dans l’Est de la France, quelque part en Picardie, dans un village posé au milieu des champs de betteraves sucrières, dominé par le regard austère des usines à sucre. J’étais encore une maîtresse des zécoles débutante, à la fin des années 90. Tout est parti d’une soirée chez une copine. L’un de ses potes nous raconte sa promesse d’aller chez ses parents pour voir ses grands-parents au cours du week-end à venir. Il se marre à l’avance des questions que lui posera sûrement sa grand-mère à propos de sa vie privée car elle rêve qu’il se trouve une amoureuse … Il est plutôt moqueur … Et puis quand même, il insiste sur le fait que cette grand-mère, elle est adorable, et que sa famille aussi, elle est fabuleuse, et si tolérante, même si personne ne comprend vraiment son mode de vie … Et tout à coup, tout à trac, il nous invite ! « Mais si, je vous assure, ils sont cool, ils seront ravis ! ». Il a toujours l’air un peu à l’Ouest, la tête dans les nuages, dans un autre monde… Ok ! On le suit !

Et c’est vrai que cette famille est adorable, très accueillante, sans doute un peu habituée aux frasques et invitations intempestives de leur rejeton. La grand-mère est telle que décrite et occasionne bien des fous rire à vouloir intéresser son petit fils à toutes les jeunes filles possibles. Ce sont tous des gens formidables, nichés dans une vieille ferme restaurée. Des bobos avant-gardistes qui allient dans leur intérieur ce qu’il faut de modernisme avec de la vieille pierre dans son jus. Chez eux, des bibliothèques pleines de philosophie côtoient la récolte des légumes du jardin. L’eau du lave vaisselle fait du gringue au vinaigre maison, tiré des restes de vins rouges (« quand il en reste ! ») dans un austère vinaigrier en terre cuite, un peu bancal sur les antiques carreaux du rebord de la fenêtre, dont on ouvre le robinet avec beaucoup de cérémonie, même s’il commence à fuiter des relents acides.

Il fait beau et l’attrait d’une petite balade dans les alentours du village et ses environnades nous attrape par les pieds. Et l’idée émerge de nous montrer une curiosité du coin, un peu particulière, une histoire des plus mystérieuse. Le long de la route se dresse une maison, une assez vieille maison, pas très grande, un peu attaquée par les rides du temps : craquelures de peinture, mousses et lichens … Mais on remarque surtout à la végétation débordante qui l’entoure, qu’elle a l’air abandonnée. Cela fait plusieurs années qu’elle est comme ça, 3, 4, 5 ans, je ne sais plus. En tout cas, une durée anormale pour une tranche de vie singulière. Car cette maison a été habitée, bien sur, et on s’en souvient. C’était une famille, pas très causante, au caractère un peu sauvage. Un homme et sa femme, ils avaient un enfant et un bébé. Et comme le village n’est pas très causant non plus avec les nouveaux arrivants, personne n’a vraiment fait connaissance avec eux. Personne ne sait exactement qui ils sont. Personne ne sait d’où ils viennent. Personne n’a vraiment pris le temps de leur parler. Ils sont arrivés avec leurs meubles et leurs valises, ils ont posé leurs meubles, ouvert leurs valises, ils se sont installés avec leurs affaires, ils ont vécu là leur nouveau quotidien dans ce nouveau village, ils ont circulé dans ce village. Ils ont commencé à se fondre dans ce nouveau village. Ils ont commencé à appartenir à ce village. A tel point qu’on a fini par presque les oublier, oublier qu’ils étaient nouveaux, oublié qu’ils étaient les étrangers au village, oublié de se méfier, de les jauger, de les calculer. Ils étaient discrets, silencieux, transparents. Personne n’aura eu le temps de leur parler.

Ils étaient tellement transparents qu’on a mis du temps avant de s’en rendre compte : ils n’étaient plus là ! Il y a eu un jour où tout le monde s’est rendu à l’évidence qu’il y avait un peu trop longtemps que personne ne les avait vus, ne les avait rencontrés, ne les avait croisés. On s’est dit que peut-être, ils étaient partis pour quelques affaires à régler, pour de la famille à rencontrer, mais le temps avait trop duré. On s’est dit que peut-être ils étaient partis en vacances, mais les vacances ont fini par être trop longues. On savait juste qu’ils étaient partis en voiture puisqu’elle n’était plus garée devant la maison, mais la voiture n’est pas revenue, et personne ne l’a revue ni de près, ni de loin, ni ailleurs. Quand le temps était devenu trop improbable, alors que rien ne bougeait, alors que personne ne venait, alors que la curiosité commençait à devenir trop forte, alors que les questions commençaient à se bousculer, quelqu’un a ouvert leur porte … Quelqu’un est entré …

Rien … Absolument rien … Même pas le moins que rien … n’avait bougé ! Pas un meuble, pas une chemise, pas un bigoudi, pas une table, pas une chaise, pas un lit, pas une assiette, pas un verre oublié dans l’évier, pas un berceau dont le lit était défait, pas un cartable prêt pour l’école, pas une bouteille restée sur la table, pas un papier chiffonné oublié au coin du mur, pas une bûche prête à se glisser dans la cheminée, pas une ombre … On pouvait penser que la maison attendait ses propriétaires d’une minute à l’autre. Les objets étaient comme figés dans cette attente. La vie des lieux était comme en suspens. Le temps était comme figé dans une concentration attentive. Seuls, les grains de poussière accumulés en voile poudreux attestaient que le temps avait passé, que la vie avait coulé. Quelqu’un a senti une petite angoisse poindre aux coins de ses yeux. Quelqu’un a senti de l’inquiétude au coin de sa bouche. Quelqu’un a senti la peur au fond de sa gorge. Quelqu’un a senti la frayeur à la racine de ses cheveux. Quelqu’un a senti l’envie de fuir au bout de ses pieds. Quelqu’un a refermé la porte.

Le bruit a couru comme une pierre. Les mots se sont chargés de mystère. La maison est restée vide avec ses meubles et ses objets. Pendant des années … Cette famille, on ne l’a jamais revue. Ni le père, ni la mère, ni l’un ou l’autre des enfants. Pendant des années … Personne absolument personne n’est jamais venu pour chercher de leurs nouvelles, ni famille, ni amis. Pendant des années … La maison n’a jamais été vidée, récupérée, personne absolument personne ne s’en est occupé. Pendant des années … Personne n’a voulu vendre la maison, gérer un héritage ou une expropriation. Pendant des années ... On ne savait pas plus qui ils étaient vraiment, d’où ils venaient, ni, surtout, ce qui leur est arrivé. Pendant des années … Seules, la végétation grandissait, s’épaississait, prenait de plus en plus étroitement la maison dans ses bras, et la poussière marquait les heures, les jours, les mois, comme un calendrier des pierres. La poussière n’a pas peur, la poussière ne croit pas aux fantômes, la poussière se contrefiche de la mort, la poussière ne comprend pas le mystère, la poussière ne respecte rien, la poussière vit sa vie de poussière. Cette poussière vivait tranquille, comme un tapis ouaté, posé sur la vie de ces inconnus que personne n’osait perturber. Elle ne voyait que le regard de quelques curieux de passage, qui venaient entre crainte et respect, comme pour vérifier l’intangible, l’improbable, le néant, l’absence immuable …

Mais un jour, un regard est entré qui était différent. La poussière devenait un linceul, la crainte est devenue raillerie, le respect s’est vidé d’un maudit, la main s’est tendue dans la nuit, l’âme de la maison s’est penché en taudis. Ce jour là, la poussière a volé, les meubles se sont couchés, les chemises se sont froissées, les bigoudis sont tombés, la table s’est tordue, les chaises se sont brisées, les lits se sont défaits, le papier chiffonné s’est souillé, les bûches ont pourri, la bouteille s’est crispée, les assiettes ont tremblé, les verres ont sursauté, le berceau a pleuré, le cartable a vomi, et les ombres ont imploré. Le fil de vie qui tenait encore les briques de cette maison s’est brisé. Tout à coup, on ne pensait plus à l’espoir d’un retour, cet acte de vandalisme s’asseyait sur les peut-être. La vie de cette famille s’évaporait comme un nuage de fumée … la vision de leurs corps flottant dans ces lieux disparaissait dans un nuage de poussière. Et quand on regardait le désastre, l’unique but de casser, de détruire, de briser, de pourrir juste par plaisir semblait évident, ça sautait aux yeux comme un coup de lame de rasoir, ça prenait à la gorge comme le nœud coulant d’une corde.

Cela faisait au pire 2 mois que cet acte avait été commis quand nous sommes rentrés sur la pointe des pieds. Nous avons manqué le lit feutré de la poussière de la maison fantôme à 2 petits mois près. A la place, nous n’avons vu que le chaos, la boue, la pourriture qui envahissait les lieux par les vitres brisées. La maison avait été assassinée. Tout était sans dessus dessous, mais les objets étaient toujours là, du moins, une bonne partie qu’on ne pouvait lister qu’avec beaucoup de difficultés. Entre l’étroitesse des lieux et les difficultés à enjamber, nos regards ne firent qu’une dizaine de pas mal assurés. Nos gorges nouaient du silence jusqu’au bourdonnement de nos oreilles. Comment une vie pouvait elle s’arrêter ainsi ? Qu’était il arrivé à ces gens ? Avec un gosse et un bébé ? Qui étaient ils quand personne ne semblait se soucier d’eux ? Qui étaient ils quand personne ne semblait connaître leur existence à cette adresse ? Qui étaient ils pour pouvoir disparaître de la sorte ? Quelle logique de l’absurde peut laisser une maison propriété de fantômes ?

Tout à coup, au détour d’un éboulis informe d’objets, j’aperçois deux yeux briller dans l’ombre. Puis je devine un museau noir, une tête ronde, deux oreilles … je me penche et dégage un ours en peluche, un ours aux pattes articulées, un ours abandonné comme saisi d’étonnement. Je le saisis à pleines mains. Puis, comme un instinct, je ne peux m’empêcher de le serrer dans mes bras, comme pour faire reculer la violence de l’air, comme pour faire taire les cris des murs, comme pour apaiser les ombres. Je pense à l’enfant qui accompagnait ses nuits. L’a t il laissé sans y penser ? Pensait il le reprendre plus tard ? A t il pensé à lui ? A t il eu le temps de repenser à un câlin ? Est il parti avec une promesse non tenue ? Est il parti sans faire exprès ?

L’air est trop lourd. Les ombres sont en colère. Les fantômes nous chassent. Nos pieds trébuchent. Nos yeux hésitent. Nos pensées appellent la lumière. Nos corps oscillent sous le soleil retrouvé. Je regarde le bout de peluche brune qui pendouille sous mon bras. Je le regarde sous les rayons tiédis. Il me sourit. Je l’enfuis.

Sont-ils vivants ?
Sont-ils morts ?
Ont ils eu un accident ?
Ont ils perdu la mémoire ?
Sont ils partis en voyage ?
Se sont ils enfuis ?
Se sont ils cachés ?
Ont il choisi de disparaître ?
Ont il voulu être quelqu’un d’autre ?
Ont il vraiment existé ?

Était ce un rêve ?


6 mars 2020
© Ysa Gudule

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