Le camion bleu
C'est une odeur de vacances avec des pépites dans les yeux et un éclat de granite en marge, grave et silencieux .
C'est un camion bleu qui suit une route bordée de mer et de terre ravinée, coincée entre un golfe marécageux et un marais salant hérissé de gris poivré. Le ruban sinueux de bitume aux accrocs grisâtres raconte sa vie, une longue histoire parsemée de doutes et de déroutes. Son grain opiniâtre déroule de grands rectangles aux mille nuances de gris qui s'enchaînent, se chevauchent, et devant nos yeux lessivés, se mettent à tituber les uns contre les autres, comme des bretons un peu gris, tanguant face à un excès de mer.
Le camion bleu fait des bonds et le soleil tend le dos rond, se fond, fait chanter la lumière, fait chanter chaque nuance du long ruban reprisé, cet ouvrage né des mains de fées, sûrement, enivées par la magie du patchwork. Les pneus chuchotent le goudron trop mur, usé par les marées du vent et les baisers de soleil trop ardents.
Le camion bleu joue à saute-mouton. Nos yeux coulent un peu plus dans un paysage de blocs gris accumulés par des korrigans malicieux dont on peut deviner, peut-être, quelques touffes de cheveux vert-de-gris entre deux pavés vacillants. Et au détour d'un virage, sans mirage, Nicolas de Stael s'est assis sur la route, étalé de tout son long dans les huiles d'un de ses paysages en gris et en bleu. Il s'est posé là, comme pour l'éternité, pesant d'un air sérieux de cendres et de mer. On se faufile au dedans, ingénument, comme le souffle d'un tapis volant éméché.
Mais devant l'insoutenable légèreté de ce dérangement, une colère veut gronder d'orage comme un chagrin d'éléphant, et crache ses larmes éprises sur le pare-brise, s'étale mollement sous les essuie-glaces du vaisseau de fer aux reflets bleu d'argent. Le camaïeu de gris se floutent et se prend de célérité. Le camion bleu se glisse sous l'aile d'un cormoran. Nos yeux se sont noyés avec délice et paresse dans un vieux film en noir et blanc, sur un quai de brume, un regard larmoyant, une bouche humide, une atmosphère mouillées.
Nous survolons la lumière. Les formes grises, comme avinées, avalent la vitesse et s'affinent, fourmillent et se pressent, en ligne, en signes et en virgules. Le camion bleu devient poète, déchiffre l'histoire du temps, celui d'après l'orage, le temps des sages, le temps du temps.
Le camion bleu s'est installé le long d'un sillage, hissant les voiles le long de quelques pavés humides de gris délavés. Il jette l'ancre sous les étoiles bordées des nuages de la nuit. Et tous les bleus sont gris. Et nos rêves sourient.
24 avril 2022
© Ysa Gudule
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