• Homepage
  1. Raconte pas ta vie !
  2. Raconte pas ta vie 2022

2ème semestre 2022

Raconte pas ta vie, 2ème semestre 2022
Read More
Chat-rabbia d’enguirlandage
1 / 6

Chat-rabbia d’enguirlandage

Dans les petites histoires autour des objets de la maison : la guirlande de feuilles... Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? … Pourquoi ce truc qui ne sert à rien, qui prend la poussière tellement que ça exagère ? On a pensé un millier de fois lui faire vivre un recyclage dans quelques recoins du jardin, mais toujours l’histoire de ses riens a retenu nos mains. Tentons d’exorciser les mots, en faire des mots de mouchoir, pour conserver la trace, pour que l’objet puisse effacer, mais pas dans nos pensées.

C’était un soir d’automne, un peu pluvieux, un peu venteux. Ça a commencé par un bruit affolé de quelque chose qui bouscule tout pour se planquer. A première vue, c’était juste un p’tit machin tout noir, tout maigre, tout apeuré. C’était recroquevillé au fond d’la cave, sous l’ancienne cuve à fioul. C’était tellement qu’la peau sur les os qu’on aurait pu les compter pour un jeu de mikado. Mais ça ne se laissait pas approcher, pas d’un pouce ni d’une côtelette. On s’est laissé apitoyer, on lui a tendu la main … ou plutôt, une gamelle. Les grosses hésitations de trouille se sont finalement laissé abattre par la faim, et les mains ont commencé à caresser le félin. Chat-crebleu, ses traits félins sont si anguleux qu’il ressemble au chat du film d’animation « le chat du rabbin ».

A première vue, c’était un mâle, vue de loin, et donc de pas grand chose. Empitrouillé dans ses craintes de l’autre, la bestiole se laissait tout juste caresser mais refusait de sentir ses pattes quitter le sol. Par contre, le tout juste baptisé Marcel (chat rime à rien mais c’était l’année des M ) s’est mis à refuser avec opiniâtreté de mettre une seule patte dehors. Tout lui était ennemi, le vent, le soleil et la pluie, la vue d’un autre que lui. Tout juste toléré, mais à bonne distance s’il vous plaît, il semble accepter, bien obligé, l’autre félin de la maison qui avait déjà posé ses cartons.

Ce dernier sentait la trahison mais ignorait le nouvel arrivant, sans montrer la moindre émotion, avec une apparence de fierté, de dédain et d’ignorance totale. Félix avait toujours été un grand indépendant devant l’éternel, et de nouveau, rien ne semblait l’atteindre, même si on le sentait un peu vexé, quand même, dans sa façon de fouetter l’air à petits coups de queue secs. Bien plus tard, quelques baffes, sans les griffes mais d’une patte vive et alerte, feront sentir à l’étranger qu’il ne faut pas se tromper sur son faux air débonnaire, et soigneusement éviter de l’approcher au risque de le fâcher.

Mais pour les débuts dans la maison, Marcel ne fait pas le fanfaron. Par contre, à ses esclaves humains, il s’adapte très vite et accepte la substantifique moelle qu’il mange de très bon appétit. Il se refait une santé, et même une vie ... et très vite, son ventre démontre bien qu’il profite. A tel point que la raison nous fait se poser quelques questions sur les façons de ce garçon. Et puisque la bestiole accepte mieux qu’on la cajole, on en profite pour tenter une vérification sur site. Deux jours plus tard, le vétérinaire entreprend un avortement en plus de la stérilisation de Mar …. got. Chat alors ! Chat-te, avant-gardiste de l’inclusivité revisitée !! Pour une surprise, c’était une sacré surprise !

Après quelques temps d’adaptation, Margot – donc - commence à être moins sauvage. Puis elle commence à nous parler. Elle devient même carrément très causante. Sa ressemblance physique avec le chat du rabbin disparaît de plus en plus. Bon, déjà, heu … on va dire … elle a changé de sexe … hum hum … ! Au sens très large du terme, d’accord … on va dire ... Mais le sens très large du terme s’applique aussi absolument, complètement et excessivement visiblement sur sa ligne tellement celle-ci s’est arrondie. Elle a un sacré coup de croc et n’a plus du tout le look « chat du désert », fin et élégant en toute circonstance. En revanche, s’il y a une chose qu’elle prend du chat du rabbin, c’est son bavardage. Toute la journée, elle me suit pas à pas, et elle miaule, et elle miaule, et elle miaule, sans arrêt. De pétocharde qui sursaute au moindre pet de mouche et ne s’approche pas à moins de 2 mètres, elle est passé au rang de reine des pots de colle : et frotti-frotta toujours dans mes jambes comme une ombre, et causi-causa dans toutes les catégories de miaulements possibles et inimaginables … ça n’arrête jamais ! ... elle me casse les oreilles !!!. Félix, lui, fait toujours discrètement la gueule car s’il veut m’approcher, il est obligé d’accepter la présence de l’étrangère qui lui a volé son espace et sa tranquillité. Chat chuffit ! Il refuse un temps de venir sur mes genoux car l’autre est trop proche de lui à son goût. Et sans doute a t-il lui aussi les oreilles comme des choux fleur vapeur à force de l’entendre miauler du matin au soir. Heureusement, il lui reste son espace du dehors, son jardin, car Margot ne veut toujours pas sortir, la trouille au ventre. Et ça dure comme chat tout l’hiver.

Et puis un jour de grand soleil, vers la fin de l’été, elle se lance, elle s’élance ! Une patte sur la première marche !… Une patte sur les pavés !… Une patte dans l’herbe ! La voilà dehors ! Et toutacousoudain, le silence ! On en avait oublié sa très infime vibration d’air. Le soulagement est perceptible et l’audition bien plus légère. Et comme la bestiole y prend goût, on endure moins son bagou. Quand elle a compris le système de la chatière, la casaniaire change ses manières. D’ailleurs, plus elle gambade dehors, plus son baratin s’endort. Mais où court-elle ainsi pour justifier ce soudain attrait pour les siestes silencieuses.

Ça ne fait que 3 jours qu’elle court les jardins alentours, et nous trouvons sur la pelouse les restes déplumés d’une tourterelle que nous avions l’habitude d’entendre roucouler dans l’arbre des voisins d’en face. La surprise est grande, la consternation aussi. Mais pas une seconde nous ne pensons à la demoiselle, elle ne porte pas sur elle une allure de grande chasseresse. Comment une aussi minuscule, et trouillarde par dessus le marché, pourrait elle s’attaquer à un oiseau aussi gros. Une mouche, à l’extrême rigueur, ou un colibri, mais y’en a pas dans l’quartier. Quant à Félix, cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de cadeaux. Il y a eu l’impressionnante série de souris et de lapereaux, lors de notre rencontre à la campagne, et dans le but clairement avouer de se faire adopter. Mais très rapidement, il y a eu le déménagement en ville. A partir de là, la faune s’est raréfiée. Le seul présent trouvé avait été un rat, et le fin chasseur semble avoir compris, au ton de ma voix, que ce genre de bestiole n’était pas du tout une bonne idée de cadeau à déposer au milieu du salon. Du coup, il a tout arrêté, fini les cadeaux, puisque l’esclave humaine n’a pas l’air de les apprécier à leur juste valeur, inutile de se fatiguer à les rapporter. Et puis ces cadeaux, du temps où il en faisait, il les rapportait toujours à la maison ... cela éloigne de lui les soupçons. Mais alors qui a bien pu oublier son cadavre devant la maison ?

En Dans les jours qui suivent, nous comprenons qu’en fait, c’est bien Margot la chasseresse des airs. Apparemment, elle est spécialisée dans la capture de ce qui vole (d’ailleurs, à y repenser, Félix, lui, est plutôt un pro dans ce qui court). Les cadavres de moineaux s’additionnent sur la pelouse et les moustaches de la minette conservent quelques plumes, signatures incontestables de ses forfaits. Ce n’est plus une surprise quand on la voit débarquer un jour, très excitée, avec un piaf entre les crocs. Toujours vivant, le moineau n’ose plus bouger une plume. Elle a un peu de mal à nous l’abandonner si vite (un cadeau, visiblement, ça doit être mort!) mais concède assez facilement, surtout que le ton de nos voix indique un mécontentement bien marqué. L’oiseau est tétanisé, on le soigne, on le remet sur pied, et on le relâche en prenant bien soin de le faire quand la belle a le dos tourné. La même expérience se rejoue un jour ou deux plus tard. On sent qu’elle se méfie. Et comme on aimerait que ça s’arrête, on répète des « NON ! » les plus explicites possible. Re sauvetage et re libération de la boule de plumes.

Et là, tout s’arrête. Il semble que Margot a compris que les cadeaux dont elle parsemait la pelouse ne plaisent pas à ses esclaves. Mais quand même, les trucs qui volent, elle aime trop leur fondre dessus ! Elle comprend, dans sa tête de chatte, que les machins à plume, il vaut mieux éviter. Mais il y a d’autres trucs qui volent. C’est aussi dans les arbres, et puis ça se décroche et ça va vers le sol en faisant des grandes virevoltes dans le vent. Irrésistiblement attirée vers l’envie d’attraper un objet volant, la grande chasseresse s’envole en quelques sauts pour refermer ses crocs sur une feuille de noisetier. Et elle amène son cadeau dans la maison car sinon, il repart avec le premier coup de vent.

Au début, on n’y prête pas vraiment d’attention, mais très vite, on trouve bizarre de trouver des feuilles partout dans la maison. En y regardant de plus près, on remarque les petits trous laissés par les crocs du félin. Et puis, on la voit faire. Ni une ni deux, on se précipite vars Margot pour la remercier et la féliciter de ces merveilleux cadeaux qui n’y laissent pas de plumes. Devant ces encouragements, la chatte se précipite sur toutes les feuilles qui osent passer pas trop loin du dessous de son nez … bingo !!!… c’est l’automne!!!Elle n’arrête pas ! Tous les matins, je trouve une feuille devant la porte de ma chambre. Au pied du frigo, sur le tapis du salon, sur la chaise de mon bureau, sur la table à manger … les feuilles sont délicatement déposées. Alors elles sont précieusement ramassées et collectées : un cadeau, ça se garde ! Et ce revirement sur les feuilles d’arbre nous chavire complètement ! La quantité devient telle qu’on en fait une guirlande, les feuilles sont comme des perles qu’on enfile par les trous des crocs. Les cadeaux-feuilles vont ralentir avec l’hiver, et aussi avec la rassurance d’avoir une maison et des humains qui donnent à manger et des câlins. Reste toujours le plaisir de courir après les choses volantes, quand la saison le permet.

Mais Margot restait une chatte un peu traumatisée de la vie, et elle seule sait pourquoi. Pendant les vacances, tout allait bien car elle avait ses esclaves autour d’elle. Dès que l’école reprenait pour tout le monde, on la sentait perdue, anxieuse, et elle accumulait les petites conneries dès qu’elle était toute seule. Quand Mamie s’est retrouvée toute seule sans son chien, Margot est entrée dans sa vie, et pour elle, ce fut l’idéal : une esclave âgée qui reste tout le temps à la maison (ou presque), aux genoux si souvent accessibles, avec une place pour elle sur le lit, des petits plats excessivement meilleurs que les croquettes pour garder la ligne …. Elle ne pouvait pas trouver mieux !


Maintenant, Margot est une vraie boule de poil, la proximité de Mamie a apaisé les peurs et les angoisses, du coup, elle n’offre plus de feuilles, a ralenti les miaulements intempestifs puis les a quasiment arrêtés (sauf cas de faim majeure ou de sortie demandée). Elle n’a strictement plus rien à voir avec le chat du rabbin. La guirlande de feuilles est restée accrochée, a pris de la poussière, beaucoup de poussière … et plutôt difficile à nettoyer. A chaque fois qu’on l’effleure, quelques feuilles s’effritent sur le pavé. Il va falloir décrocher … mais pour que l’histoire de Margot et le souvenir de cet objet nous restent dans la mémoire, à la place, j’ai accroché des mots , un enguirlandage d’histoire.


20 octobre 2022
© Ysa Gudule

  • Chat-rabbia d’enguirlandage
  • Ça me botte !
  • Balade sur le fil
  • Chez eux
  • Untitled photo
  • Untitled photo
  • No Comments

Tous les éléments du travail de création de ce site sont la propriété de l'auteure et placées sous protection "copyright" © Ysa Gudule .... tous droits réservés. Si vous souhaitez utiliser certaines images ou textes, merci de me contacter sur yza.rezo@gmail.com

All elements of the creative work of this site are the property of the author and placed under protection "copyright" © Ysa Gudule .... all rights reserved. If you would like to use images or texts, please before contact me : yza.rezo@gmail.com

  • Photo Sharing
  • About SmugMug
  • Browse Photos
  • Prints & Gifts
  • Terms
  • Privacy
  • Contact
  • Owner Log In
© 2023 SmugMug, Inc.