La bataille - Patrick Rambaud
Nous devons l'emporter demain, Marbot, et à n'importe quel prix !
-Si vous le dites, ce sera ainsi.
-Oh, ne me flatte pas !
-Je vous ai vu à l'attaque cent fois, et l'armée vous aime.
-Je les offre aux canons et aux baionnettes et ils m'aiment ! Parfois, je ne comprend plus.
-Votre Excellence, c'est bien la première fois que je vous entends douter.
-Ah bon ? En Espagne, je devais douter en silence.
Napoleon renifla. Il se tut. Le secrétaire restait la plume en l'air.
-Berthier !
-Il n'est pas encore sur l'ile, dit un aide de camp à l'entrée de la tente.
-Et Masséna ? Il est mort ?
-Je n'en sait rien, Sire.
-Non, Masséna, ce n'est pas son genre. Qu'il vienne tout de suite.
-Ordonnons le repli.
-Si nous reculons, Sire, les armées de l'Archiduc se reforment.
-Et si nous ne nous replions pas, l'Archiduc intervient sur nos flancs mal protégés, c'est le massacre ! Il faut se replier.
-Oui, Sire ? Dans l'ile ?
-Bien sûr ! Pas dans le Danube, idiot !
Caulaincourt se permit de lui rappeler qu’il devait encore signer les ratifications du traité voulu par les Alliés, que Macdonald porterait à Paris. C’est ainsi que Napoléon signa sans le relire ce long texte qui l’écartait de France sur une île, une île minuscule qui sentait le romarin mais ressemblait à une cage.
- Tu as peur ?
- Pas encore.
- Pourtant, à te voir, tu n'as pas l'air à l'aise.
- J'aime pas abîmer les moissons en galopant dedans.
Lejeune avait emprunté un cheval d'artillerie pour y monter son protégé en habit de voltigeur. Il le regardait et dit :
- Demain, on va s'entre-tuer au canon dans cette plaine verte. Il y aura beaucoup de rouge, et ce ne seront pas des fleurs. Quand la guerre sera finie...
- Y en aura une autre, mon colonel. La guerre elle ne sera jamais finie, avec l'Empereur.
- Tu as raison.
Ils tournèrent bride vers Essling, sans se presser mais aux aguets. Lejeune se serait volontiers attardé, avec son carnet de croquis, pour dessiner un paysage doux et sans hommes.
Ils ont des vestes grises raflées aux Autrichiens, et il se passe quoi ? Vous ne savez pas ? Je vais vous le dire, colonel, je vais vous le dire… (Il soupira avec bruit) Dès la première blessure, même minime, sur un tissu clair le sang s’étale et se voit ; une éraflure vous fait figure d’un coup de baïonnette dans les tripes, et ce sang, il démoralise les autres, il leur flanque une grosse peur, il les paralyse ! (Daru prit soudain la voix d’un marchand d’habits :) Tandis que sur du bleu, du beau bleu bien foncé, ces mauvaises taches se voient moins, et donc elles effraient moins...
Le médecin arriva, on le mit au courant, il observa le jeune homme, lui tâta le pouls et dit:
- Pas d'agitation intempestive, le coeur bat à son rythme, votre assassin est en bonne santé...
- Vous voyez! dit Staps sur un ton de triomphe.
- Monsieur, dit l'Empereur, si vous me demandez pardon vous pourrez aller. Tout cela n'est qu'un enfantillage.
- Je ne m'excuserai pas.
- Inferno! Vous alliez commettre un crime.
- Vous tuer n'est pas un crime mais un bienfait.
- Si je vous fais grâce, allez-vous rentrer chez vous?
- J'essaierai de recommencer.
Elle rêvait, car elle était bien là, éclairée par un
dernier quartier de lune, calme, souriant presque. Il écouta sa respiration si
régulière. Elle eut un gémissement léger, s’étira un peu sans se réveiller.
Lejeune poussa un siège près du lit et la regarda dormir avec émotion.
— Sainte-Croix, dit Masséna, emmenez vous-même le général chez le docteur Yvan.
— Ou Larrey, dit Dorsenne, pâle à faire peur.
— Ah non, malheureux ! Larrey serait capable de vous amputer la tête ! Comme le docteur Guillotin, il coupe tout ce qui dépasse, vous savez.
Eh oui mon cher... Comme disait Montaigne, l'art de la guerre c'est de détruire des hommes et de construire des murailles.
Ce que préconisaient Carnot et Saint-Just valait pour leur époque. Bien sûr, une armée qui a une âme doit l’emporter sur des mercenaires ! Où sont les mercenaires, aujourd’hui ? Et de quel côté sont les patriotes ? Tu ne sais pas ? Je vais te le dire : les patriotes prennent les armes contre nous, au Tyrol, en Andalousie, en Autriche, en Bohême, bientôt en Allemagne, en Russie… »
Le maréchal Lannes était fatigué par quinze ans de combats et de dangers. Il venait de conduire l'affreux siège de Saragosse. Riche, marié à la plus belle et à la plus discrète des duchesses de la cour, fille d'un sénateur, il aurait voulu se retirer en famille dans sa Gascogne, voir grandir ses deux fils. Il était las de partir sans jamais savoir s'il reviendrait autrement que dans une caisse. Pourquoi l'Empereur lui refusait-il cette tranquillité ? Comme lui, la plupart des maréchaux n'aspiraient qu'à la paix des champs. Ces aventuriers, avec le temps, devenaient bourgeois. A Savigny, Davout construisait des huttes en osier pour ses perdreaux et à quatre pattes il leur donnait du pain ; Ney et Marmont adoraient jardiner ; MacDonald, Oudinot, ne se trouvaient à l'aise qu'entourés de leurs villageois ; Bessière chassait sur ses terres de Grignon s'il ne jouait avec ses enfants. Quant à Masséna, il disait de sa propriété de Rueil, qui regardait la Malmaison proche où se retirait l'Empereur : "D'ici, je peux lui pisser dessus !" Sur un ordre, ils étaient venus en Autriche, à la tête de troupes disparates et jeunes, qu'aucun motif puissant ne poussait à tuer. L'Empire déclinait déjà et n'avait que cinq ans. Ils le sentaient. Ils suivaient encore.
— Demain, on va s’entre-tuer au canon dans cette plaine verte. Il y aura beaucoup de rouge, et ce ne seront pas des fleurs. Quand la guerre sera finie…
— Y en aura une autre, mon colonel. La guerre elle sera jamais finie, avec l’Empereur.
— Tu as raison.
Tome 2
— Tu vas voir, soldat Paradis... Le père Gros-Louis va t'fabriquer un beau costume avec tout c'qu'y ratisse sur les cadavres...
— Ouais... Tu risques d'être bien ridicule...
— L'écoute pas... Vaut mieux être vivant dans une tenue ridicule que mort dans un bel uniforme.
-Le jour où il a appris qu'il allait être enrolé, il s'est arraché toutes les dents jusqu'aux gencives.
-Et alors?
-Si t'as plus de dents, tu peux pas déchirer les cartouches et on veut plus de toi.
-Et tu passes le reste de ta vie à manger de la soupe!
-Ouais, ben ça vaut mieux que d'bouffer les pissenlits par la racine!
Tome 3
Eh oui mon cher... Comme disait Montaigne, l'art de la guerre c'est de détruire des hommes et de construire des murailles.
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