De face et de profil - Henri Tachan
Les couples qui se parlent de profil
La langue épaisse et l’œil éteint
Dans les cabarets de la ville
Divorcent un peu chaque matin.
Ces couples qui se parlent de profil
Devant leurs amis du gratin
Se toussent des mots fort civils
Se font des ronds de bouchon latins.
Mais tout au bout de leur babil
Quand ya plus personne et plus rien
Ils se disent « Poisson d’Avril »
Et soliloquent dans leur coin.
Moi je veux qu’on se parle en face
Mes yeux dans tes yeux
Tes yeux dans les miens.
Moi je veux que les mots nous fassent
Un « Je t’aime » à deux
Deux « Je t’aime » en un.
Les couples qui s’aiment de profil
Du coin des lèvres du bout des mains
Dans les alcôves de la ville
Se trompent un peu chaque matin.
Ces couples qui s’aiment de profil
Au fond d’un boudoir bien éteint
Ont les étreintes difficiles
Et la libido incertaine.
Alors ces couples de vaudeville
Pour stimuler leurs coups de rein
S’imaginent être sur le nombril
Lui d’une fille, elle d’un marin.
Moi je veux que l’on s’aime en face,
Mes yeux dans tes yeux,
Tes yeux dans les miens.
Moi je veux que l’amour nous fasse
Un seul corps à deux
Et deux corps en un.
Les couples qui vieillissent de profil
Sous leurs cheveux teints et reteints
Dans les lumières de la ville
Clignent des yeux, tremblent des mains.
Ces couples qui vieillissent de profil
De bains de vapeur en Chambertain
Alignent encore leurs pas séniles
Derrière gigolos et trottins.
Et à l’heure de l’Ainsi-soit-il
Alors qu’on creuse leur sapin
Ces couples-là meurent de profil
Dans des tombeaux à baldaquins.
Moi je veux qu’on vieillisse en face
Mes yeux dans tes yeux
Tes yeux dans les miens
Moi je veux que l’âge te fasse
Blanchir les cheveux
Et blanchir les miens.
Moi je veux qu’on vieillisse en face
Mes yeux dans tes yeux
Tes yeux dans les miens
Moi je veux que la mort nous fasse
Un berceau pour deux
Deux berceaux pour un.
